Logistique urbaine : les nouveaux modes de livraison
- 22 août 2022
- 6 mins
Explosion des volumes de colis, congestion des centres-villes, réglementations de plus en plus strictes, enjeu environnemental accru… les nouveaux défis de la logistique urbaine imposent aux transporteurs de repenser leurs modes de livraison.
De plus en plus de colis sont livrés en milieu urbain : les livraisons représentent à elles seules plus de 57 % des mouvements de marchandises dans Paris. Au total, 200 000 colis issus d’achats en ligne sont livrés à des particuliers parisiens chaque jour. A titre de comparaison, c’est plus d’un million de colis livrés à Shangaï et 1,5 million à New-York.
Les enjeux de la logistique urbaine
En croissance, la logistique urbaine fait face à différentes problématiques :
Les zones urbaines se densifient et leur congestion devient critique
En 2050, plus de 66% de la population mondiale vivra en ville selon l’ONU (versus 56% en 2019). Cette augmentation de la densité urbaine implique également un nombre de véhicules plus important : l’étude The Future of the Last-Mile Ecosystem (2020) projette que le nombre de véhicules augmentera de 36% d’ici 2030 dans les 100 premières villes mondiales si aucune action n’est prise pour fluidifier la logistique urbaine.
Ce scénario implique que le temps de trajet moyen pourrait augmenter de 21 % (uniquement en raison de la livraison du dernier kilomètre), ce qui équivaut à un temps de trajet quotidien supplémentaire de 11 minutes pour chaque passager. Ce phénomène est déjà observé dans des villes telles que Los Angeles, Chicago, Pékin et New York où les temps de trajet ont augmenté de 20 à 35 % depuis 2010.
La mobilité est de plus en plus difficile en ville avec la hausse du nombre de véhicules et le partage de la voirie au profit des vélos et des transports en commun. Les embouteillages sont donc très courants en zone urbaine, complexifiant le métier des transporteurs qui perdent un temps précieux lors de leurs tournées de livraison.
Le stationnement est devenu un casse-tête
Avec l’augmentation des véhicules en ville, il est aujourd’hui complexe de trouver une place de stationnement. Cela est d’autant plus difficile pour les chauffeurs livreurs qui utilisent un véhicule plus volumineux qu’une voiture classique. Ils sont très souvent obligés de laisser leur véhicule là où ils le peuvent, empiétant parfois sur la voirie ou le trottoir : 80 % des livraisons se feraient en stationnement illicite. Face à cette pression, les livraisons peuvent alors être réalisées de manière très rapide, pouvant nuire à la qualité de service et la satisfaction client.
Les attentes des consommateurs sont de plus en plus exigeantes
Les clients sont aujourd’hui en demande d’une livraison plus rapide, flexible et bon marché. Les délais de livraison se raccourcissent (certains acteurs promettent une livraison en moins d’une heure) et les créneaux horaires se précisent (des fourchettes de 2h maximum par exemple). Les consommateurs veulent connaître (et choisir) le moment précis où ils seront livrés. Ils attendent des transporteurs un suivi en temps réel de leur livraison, notamment via des notifications par email ou SMS afin d’être informés de tout éventuel retard. Les lieux de livraison se diversifient, ce qui complique le métier des logisticiens : les clients peuvent désormais choisir d’être livrés à domicile, en point relais, en consigne automatique, en click & collect, en bureau de poste…
Les coûts du dernier kilomètre sont colossaux
Le dernier kilomètre est l’étape de la chaîne d’approvisionnement la plus coûteuse : elle représente 20 % des frais totaux. En ville, là où la livraison est plus complexe, il est donc difficile d’amortir les coûts. Les livraisons se faisant majoritairement au domicile du destinataire (82,6 %), les coûts du dernier kilomètre peinent à diminuer. En effet, la livraison en point relais représente un avantage économique pour les transporteurs car cela limite le nombre d’arrêts des chauffeurs : 15 arrêts en moyenne pour les points relais contre 50 pour les livraisons à domicile.
L’impact environnemental du transport est toujours trop important
Le transport de marchandises représenterait environ 20% des émissions de gaz à effet de serre en agglomération (source : Ademe). À Paris, il génère 25% des émissions de CO2, 35% à 45% des oxydes d’azote et 45% des particules fines. Les véhicules utilisés par les professionnels de la logistique ont encore une empreinte carbone trop élevée.
L’impact est d’autant plus important lorsque le nombre de véhicule augmente sur la route : les riverains imaginent souvent que les véhicules les plus volumineux sont les plus gros pollueurs mais contrairement aux idées reçues, les poids lourds sont peu présents en ville. En effet, les véhicules utilitaires, tels que des fourgonnettes ou des camionnettes, représentent plus de 65 % des véhicules utilisés en milieu urbain. Or 8 véhicules de petit gabarit sont nécessaires pour transporter le chargement d’un seul poids lourd. L’impact en termes de kilomètres parcourus et d’émissions polluantes est donc colossal. Pour répondre aux convictions environnementales des consommateurs, les transporteurs se doivent de repenser leurs processus pour tendre vers une logistique verte.
Les innovations en matière de livraison urbaine
Face à ces différentes problématiques de logistique urbaine, les transporteurs doivent s’adapter et certains ont déjà mis en place diverses innovations qui révolutionnent ce marché en pleine mutation.
La livraison collaborative
En appui aux professionnels, la crowd-logistics permet à des particuliers d’optimiser les ressources logistiques qu’ils détiennent (notamment leur véhicule) afin de rendre service tout en étant rémunérés. Plus précisément, le crowdshipping intervient lors de l’étape du transport : transport de marchandises depuis le lieu de distribution ou depuis un point relais jusqu’au domicile du destinataire final par exemple. De nombreuses plateformes ont émergé sur le web pour mettre en relation les particuliers : Cocolis, Yper, Shopopop ou MyBoxMan en France, Postmates ou Instacart aux Etats-Unis…
La livraison collaborative s’occupe souvent de la livraison du dernier kilomètre qui est très complexe pour les transporteurs. Elle peut représenter une menace pour eux car les tarifs de livraison sont moins onéreux pour les consommateurs. Cependant, elle peut également devenir une source d’inspiration pour développer de nouvelles activités. Par exemple, DHL a testé ce type de prestation à Stockholm (Suède) en 2013 via la plateforme MyWays.
Les consignes automatiques
Vous avez peut-être déjà vu des consignes dans des hôtels, gares ou aéroports… Ce principe s’est également développé pour stocker temporairement des colis à livrer. Cette alternative à la livraison à domicile permet aux clients de venir chercher, quand ils le souhaitent, leurs colis entreposés dans un casier sécurisé par un code unique.
Les consignes à colis présentent plusieurs avantages :
- Comme pour la livraison en point relais, les livreurs réalisent moins d’arrêts par tournée et donc réduisent leur impact environnemental.
- Les consignes pourraient réduire les embouteillages de 5 à 18% (selon les scénarios envisagés).
- Les coûts de livraison pourraient également être diminués de 2 à 12%.
De plus en plus de transporteurs mettent en place des consignes automatiques : Amazon avec les Amazon Lockers, La Poste avec son service Pickup, InPost avec ses Abricolis…
Des véhicules plus écologiques
Malgré une production fortement émettrice en CO2 (30% plus élevée que pour un véhicule thermique), le bilan carbone d’un véhicule électrique reste meilleur. Un outil en ligne a été développé par La Fédération européenne pour le transport et l’environnement pour mesurer les émissions de CO2 :
- Dans le pire des scénarios (batterie produite en Chine et voiture conduite en Pologne où le mix électrique est l’un des plus polluants d’Europe), un véhicule électrique génère 22% de CO2 de moins qu’une voiture diesel et 29% qu’une voiture essence, sur sa durée de vie totale.
- Dans le meilleur des scénarios (batterie produite et véhicule conduit en Suède où l’électricité est générée à 67,5% par des énergies renouvelables), une voiture électrique émet 79% de CO2 de moins qu’un véhicule à moteur thermique !
- En France, les émissions de CO2 produites par l’essence sont 77% plus élevées que par l’électrique et sur l’ensemble de l’Union Européenne, la différence est de 63%.
Les zones à faibles émissions (ZFE), les places de stationnement réservées aux véhicules électriques ou encore la déclaration obligatoire des émissions polluantes produites par son véhicule… Les villes mettent en place des réglementations pour inciter les transporteurs à adapter leur flotte de véhicules. Ils sont déjà nombreux à avoir commencé à investir dans des flottes vertes :
- Chronopost dispose de plus de 770 véhicules à faibles émissions (électriques, GNV et vélos-cargos) en France qui leur permettent d’assurer 100 % de livraisons « décarbonées » dans 41 villes françaises, dont Paris.
- DHL Express France ambitionne d’effectuer 75 % de ses livraisons du premier et dernier kilomètre avec des véhicules électriques d’ici 2025. Pour le moment, 25% de sa flotte (soit 300 véhicules) sera électrique d’ici la fin de l’année 2022.
- DPD a déjà implémenté 2 500 véhicules électriques au Royaume-Uni et s’est fixé l’objectif de déployer une flotte « zéro émission » dans 225 villes européennes avant 2025.
- La poste canadienne, Postes Canada, va transformer l’intégralité de sa flotte (14 000 véhicules) à l’électrique d’ici à 2040, dont la moitié d’ici à 2030.
La cyclo-logistique
En ville, le moyen de transport le plus écologique est le vélo. Il existe différents types de vélos adaptés à la livraison urbaine :
- Le vélo cargo biporteur ou triporteur à deux ou trois roues est adapté pour les petits ou moyens chargements (généralement 80 à 100kg max) grâce à sa caisse intégrée à l’avant ou l’arrière du vélo. De nombreuses startups se sont lancées sur ce marché porteur, parmi lesquelles : Diligo, les Triporteurs de l’Ouest, la Petite Reine, etc.
- Le vélo remorque permet, quant à lui, de transporter des marchandises plus lourdes (jusqu’à 350kg). La startup K-Ryole est l’un des acteurs les plus innovants sur ce marché grâce à son assistance électrique intelligente qui s’adapte à la conduite du cycliste et à la route (pentes, virages). Le transporteur Stuart utilise les remorques de K-Ryole pour ses livraisons urbaines.
Ces vélos sont généralement électriques pour apporter plus de confort aux livreurs et supporter les charges lourdes.
La cyclo-logistique à de nombreux avantages :
- Une réduction des coûts par rapport à un véhicule motorisé (économies de carburant, coûts d’acquisition et d’entretien moins élevés).
- Moins de temps passé dans les embouteillages grâce aux pistes cyclables ou aux couloirs de bus.
- Un stationnement plus facile (8 secondes en moyenne pour les coursiers de Diligo).
- Une amélioration des délais de livraison : les vélos-cargos électriques livrent 60 % plus vite que les camionnettes en centre-ville (étude de l’Université de Westminster).
- Des tournées plus efficaces : la cyclo-logistique améliore de plus de 30% l’efficacité des livraisons en zone dense.
- Une empreinte écologique réduite : les livreurs en vélo-cargo électrique émettent 90 % de CO2 en moins que ceux roulant en camionnette diesel.
- Une pollution sonore diminuée dans les villes (moins de klaxons intempestifs, de vrombissements de moteur et de crissements de pneus).
La livraison robotisée
Les nouvelles technologies permettent aux acteurs du secteur de la logistique d’innover leurs process. La robotique arrive progressivement sur le maillon du dernier kilomètre avec les véhicules autonomes et les drones. Grâce à des techniques d’Intelligence Artificielle, des navettes, bus ou camions sont désormais capables de livrer des colis de manière totalement autonome, sans l’aide d’humain.
Les véhicules de la startup américaine Nuro peuvent contenir 760 dm3 d’articles, soit l’équivalent de ce que propose un monospace XXL et peuvent supporter près de 225 kg. Ils utiliseraient exclusivement de l’électricité 100% renouvelable, permettant de réduire leur impact écologique.
La livraison robotisée est principalement testée pour l’acheminement de produits alimentaires : par exemple, aux Etats-Unis, Walmart utilise les robots de Nuro pour livrer les courses commandées par leurs clients depuis 2020 ; Uber Eats teste ceux de Serve Robotics et de Motional pour la livraison de repas à Los Angeles depuis 2022.
Les drones sont également un mode de livraison qui se démocratise. En 2016, Amazon a réalisé sa première livraison par drone, directement dans le jardin d’un client anglais. Avec son programme « Amazon Prime Air », l’objectif du géant américain est de livrer des produits en seulement 30 minutes.
La livraison robotisée présente certains avantages :
- Elle vient combler la pénurie de main d’œuvre, notamment spécialisée.
- Elle réduit l’impact environnemental de la livraison urbaine : fonctionnant à l’électricité, parfois 100% renouvelable, les véhicules autonomes et les drones émettent moins de C02 et contribuent à désengorger le trafic routier.
- Elle participe au désenclavement rural : les drones sont également utilisés pour livrer des colis dans des zones rurales isolées. Par exemple, DPD France a testé l’utilisation de drones à Mont-Saint-Martin. Résultat : un temps de livraison de 8 minutes par drone contre 30 minutes en voiture habituellement.
Toutefois, la généralisation de la livraison robotisée se fait attendre et des expérimentations sont toujours en cours. La réglementation du transport aérien en zone urbaine est encore très restrictive et les innovations technologiques doivent se poursuivre afin d’améliorer la fiabilité, l’autonomie et la précision des engins.
Le secteur de la logistique urbaine est donc en plein développement pour offrir des modes de livraison plus adaptés aux nouvelles exigences des consommateurs : une livraison plus rapide, flexible, personnalisée et écologique. La livraison collaborative, les consignes automatiques, les véhicules électriques, la cyclo-logistique et la livraison robotisée sont de nouveaux modes de livraison qui ont un bel avenir devant eux.