Le paradoxe de l’optimisation de tournées : quand la théorie se heurte à la réalité du terrain
- 21 mars 2025
- 7 mins
L’optimisation des tournées, malgré son potentiel indéniable pour réduire les coûts et les émissions de CO2, reste sous-utilisée dans l’industrie du transport. Ce paradoxe s’explique par de nombreux obstacles pratiques rencontrés lors de la mise en œuvre de ces outils. De la qualité des données aux imprévus en temps réel, plusieurs facteurs contribuent à ce décalage entre les attentes et l’utilisation effective des technologies d’optimisation.
Cet article explore ces défis et met en lumière les ajustements nécessaires pour aligner les outils d’optimisation avec les réalités opérationnelles.
L’optimisation de tournées : un grand paradoxe ?
L’optimisation de tournées consiste à trouver la meilleure solution pour visiter tous les points en respectant un ensemble de contraintes. Cette discipline revêt une importance capitale, car une grande partie des coûts de transport est liée au dernier kilomètre, représentant jusqu’à 53% des coûts totaux dans le transport de colis. Ce dernier kilomètre a également un impact significatif sur les émissions de CO2, soulignant ainsi la nécessité d’optimiser chaque aspect de la logistique, tant pour des raisons économiques qu’écologiques.
Les solutions d’optimisation de tournées ont été développées à partir des années 1960-70. Elle promet de nombreux avantages, notamment :
- L’optimisation des coûts opérationnels
- L’amélioration de la qualité de service
- Une planification semi-automatique ou entièrement automatisée
- La réduction de l’empreinte carbone
Ce qui rend l’optimisation de tournées particulièrement intéressante pour les mathématiciens, c’est sa complexité intrinsèque. Par exemple, pour une tournée de 20 points, tester toutes les combinaisons possibles prendrait environ 2000 ans, même avec un ordinateur puissant. Avec 60 points, le nombre de solutions possibles dépasse le nombre d’atomes dans l’Univers observable.
Cette complexité explique pourquoi les algorithmes d’optimisation, si bien paramétrés, calculent de façon plus fine et plus rapide les meilleures tournées par rapport aux planificateurs humains, même les plus expérimentés. En effet, les combinaisons possibles étant très nombreuses, il est impossible pour un humain de toutes les tester manuellement. Les gains obtenus grâce à l’optimisation algorithmique sont toujours significatifs, généralement en pourcentage à deux chiffres, que ce soit en termes de kilomètres parcourus, de productivité ou de respect des créneaux horaires.
Cependant, malgré ces avantages évidents et l’existence de cette technologie depuis plusieurs décennies, son adoption dans l’industrie du transport n’est pas aussi répandue qu’on pourrait le penser.
Ce paradoxe soulève des questions sur les obstacles à la mise en œuvre de l’optimisation de tournées dans la pratique, malgré son potentiel considérable pour réduire les coûts et l’impact environnemental.
Pourquoi un tel écart entre le besoin et le réel usage d’un outil d’optimisation de tournées ?
De nombreux facteurs contribuent au paradoxe de l’optimisation de tournées, mais ils mettent tous en lumière un élément central : la qualité et la gestion des données.
Des données de mauvaise qualité
La qualité des données est un élément crucial pour concevoir des tournées qui correspondent réellement à la réalité du terrain. Malheureusement, les données de mauvaise qualité sont un problème récurrent qui peut sérieusement compromettre les résultats de l’optimisation. Voici quelques exemples concrets de ce problème :
- Adresses mal renseignées : Une simple erreur dans le numéro d’une rue peut avoir des conséquences importantes. Par exemple, dans Paris, une erreur sur le numéro d’une très longue rue comme la rue de Vaugirard peut entraîner un écart de 300 à 400 mètres. Avec les nombreux sens interdits, cela peut conduire à des détours considérables.
- Géocodage incorrect : Lorsque les coordonnées géographiques sont mal positionnées, cela peut entraîner des erreurs significatives dans la planification des itinéraires.
- Poids et volumes des marchandises erronés : Une simple erreur de saisie, comme oublier un zéro (10 kg au lieu de 100 kg), peut complètement fausser la planification de la capacité des véhicules.
- Horaires mal renseignés : Les erreurs dans les horaires peuvent avoir un impact majeur sur la planification, notamment en termes de trafic et de respect des créneaux horaires. Cela concerne à la fois les heures de début de travail des chauffeurs et les horaires d’ouverture des sites de livraison.
En pratique, ces erreurs de données ont des conséquences significatives sur l’optimisation des tournées. Les itinéraires générés peuvent s’avérer irréalisables ou illogiques, comportant par exemple des détours inutiles.
Contrairement à un exploitant expérimenté capable de repérer intuitivement certaines anomalies, l’algorithme d’optimisation traite toutes les données reçues comme véridiques, sans pouvoir distinguer les informations correctes des erronées. Cette limitation peut conduire à des résultats aberrants lorsque la qualité des données est insuffisante.
Des contraintes connues uniquement des opérationnels
Les algorithmes d’optimisation de tournées se heurtent souvent à des contraintes connues uniquement des opérationnels, qui ne sont pas formalisées dans les systèmes d’information. Ces contraintes, issues du terrain, peuvent avoir un impact important sur la planification des tournées. Voici quelques exemples :
- Modifications de dernière minute : Un chauffeur peut avoir besoin de partir de chez lui plutôt que du dépôt, ou être en retard à cause d’un imprévu personnel.
- Relations interpersonnelles : Des conflits peuvent survenir entre chauffeurs et clients, conduisant à des situations où un client refuse d’être servi par tel chauffeur, ou vice versa.
Ces informations, bien que cruciales pour une planification efficace, ne sont généralement pas intégrées dans les bases de données utilisées par les algorithmes d’optimisation. Elles relèvent de la connaissance tacite des opérationnels, acquise au fil de leurs interactions quotidiennes avec les chauffeurs et les clients.
De nombreux aléas qui arrivent en temps réel
La planification des tournées est souvent mise à l’épreuve par des événements imprévus qui surviennent en temps réel. Ces aléas peuvent perturber considérablement l’organisation initiale et avoir des répercussions importantes sur l’efficacité des opérations. Voici quelques exemples courants :
- Absences de clients : Il arrive fréquemment qu’un client soit absent lors du passage prévu, nécessitant une reprogrammation ultérieure de la livraison ou de l’intervention.
- Événements exceptionnels : Des situations imprévues, comme la visite d’un président étranger entraînant la fermeture d’un axe routier majeur, peuvent bouleverser complètement les itinéraires planifiés.
- Changements de dernière minute : Les clients peuvent modifier leurs demandes, annuler ou reporter des livraisons, ou demander des changements d’horaires, parfois à très court terme.
Ces aléas ont des répercussions concrètes sur le terrain. Ils entraînent une rupture de la tournée planifiée, contraignant le chauffeur à modifier sa tournée initiale, souvent sans l’assistance des outils d’optimisation. Ces perturbations peuvent conduire à une dégradation de la qualité de service, avec des retards, des annulations ou des reports, impactant négativement la satisfaction client. De plus, ces situations génèrent un stress accru pour les équipes, particulièrement lorsque les tournées sont très optimisées, car le moindre écart peut créer une pression importante sur les opérateurs qui doivent gérer ces imprévus. Enfin, ces changements constants remettent en question la pertinence des plans établis, un plan conçu la veille pouvant devenir obsolète en quelques heures, ce qui remet en cause l’efficacité de la planification à long terme.
Des contraintes métier très spécifiques
L’optimisation des tournées se heurte souvent à des contraintes métier très spécifiques, qui varient considérablement selon les secteurs d’activité et même entre entreprises d’un même domaine. Ces particularités peuvent rendre l’utilisation d’outils d’optimisation standards particulièrement complexe. Voici quelques exemples de ces contraintes spécifiques :
- Contraintes de capacité de site : Dans la collecte de déchets ou les situations de cross-docking, il peut y avoir des limitations sur le nombre de véhicules pouvant être présents simultanément sur un site.
- Contraintes de chargement/déchargement : Le principe LIFO (Last In, First Out) est souvent crucial dans le transport de palettes, où l’on ne peut décharger que ce qui a été chargé en dernier.
- Équilibrage du chiffre d’affaires : Dans le cas de sous-traitance, il est important de répartir équitablement les tournées entre les sous-traitants pour assurer leur viabilité économique.
- Habilitations spécifiques : Certains sites sensibles, comme les centrales nucléaires ou les prisons, nécessitent des habilitations particulières pour les chauffeurs, une information rarement intégrée dans les systèmes standard.
Ces contraintes varient considérablement selon les secteurs : transport de déchets, transport en température dirigée, livraison de colis, fret longue distance, etc. Chaque domaine a ses propres spécificités qui doivent être prises en compte pour une optimisation efficace.
Pour intégrer efficacement ces contraintes, il est souvent nécessaire de créer des référentiels spécifiques, par exemple pour lier les habilitations des chauffeurs aux exigences des sites à livrer. La prise en compte de ces contraintes nécessite une modélisation plus fine et plus complexe du problème d’optimisation, ce qui peut rendre les outils standards inadaptés.
La non prise en compte du trafic routier
L’intégration du trafic routier dans les algorithmes d’optimisation de tournées est un défi majeur qui, lorsqu’il n’est pas relevé, peut considérablement affecter l’efficacité des planifications. Voici les principaux problèmes liés à cette non-prise en compte :
- Calcul sans considération du trafic horaire : Les tournées sont souvent calculées sans tenir compte des variations de trafic selon les heures de la journée.
- Ajustement global a posteriori : Le trafic est parfois ajouté après l’optimisation via un coefficient global, ce qui ne reflète pas la réalité complexe et dynamique des conditions de circulation.
L’absence de prise en compte du trafic dans l’optimisation des tournées entraîne plusieurs impacts sur le terrain. Tout d’abord, les heures d’arrivée prévisionnelles (ETA) deviennent beaucoup moins précises, ce qui peut entraîner des retards et des créneaux de livraison manqués. De plus, les algorithmes peuvent faire des choix d’itinéraires inadaptés et contre-intuitifs, comme par exemple plusieurs traversées de la Seine dans une même tournée à Paris, alors que les ponts sont souvent des points de congestion, ou l’utilisation d’axes routiers aux heures où ils sont quotidiennement saturés. Ces choix peuvent aboutir à des tournées illogiques aux yeux des exploitants expérimentés familiers avec les réalités du terrain. La qualité de service s’en trouve affectée, impactant négativement la satisfaction client. Si le système produit régulièrement des résultats inadaptés à la réalité du trafic, il risque de perdre en crédibilité auprès des opérationnels, compromettant son adoption et son efficacité à long terme.
Pour résoudre ces problèmes, il est crucial d’intégrer des données de trafic précises et en temps réel dans le processus d’optimisation. Cela implique :
- La prise en compte du trafic en amont, pendant le calcul des tournées, avec l’utilisation de données historiques pour anticiper les congestions récurrentes.
- La mise à jour régulière des itinéraires en fonction du trafic en temps réel pendant l’exécution des tournées.
De plus, l’optimisation doit tenir compte d’autres contraintes spécifiques comme les restrictions de circulation (hauteur sous pont, poids des véhicules, transport de matières dangereuses, etc.) qui peuvent varier selon les types de véhicules utilisés, du piéton au poids lourd.
L’intégration de ces éléments permet de générer des tournées plus réalistes et efficaces, améliorant ainsi la précision des ETA, la qualité de service, et l’acceptation de l’outil par les opérationnels. Cette approche nécessite l’utilisation de bases cartographiques détaillées et mises à jour, fournies par des acteurs spécialisés dans le maintien de ces données (ex : HERE Technologies).
Au final : un outil peu exploité sur le terrain
Les conséquences pratiques des problèmes d’optimisation de tournées sont nombreuses et significatives. En premier lieu, les tournées générées par les algorithmes d’optimisation se révèlent souvent inopérables sur le terrain. Cette inadéquation entre la théorie et la réalité opérationnelle constitue un obstacle majeur à l’adoption et à l’utilisation efficace des outils d’optimisation.
Face à ces difficultés, les planificateurs se trouvent contraints d’entamer un processus de correction manuel et chronophage. Ils doivent identifier les erreurs ou incohérences dans le plan de tournées, corriger manuellement les données, puis relancer l’optimisation. Ce cycle se répète jusqu’à ce que le résultat soit satisfaisant, chaque itération pouvant prendre entre 5 et 15 minutes. Pressés par le temps, les exploitants finissent souvent par abandonner après quelques tentatives, frustrant ainsi l’objectif initial d’efficacité et de simplification de la planification des tournées.
Cette situation conduit fréquemment à une utilisation dégradée de l’outil d’optimisation. Dans de nombreux cas, les opérateurs de transport équipés de ces outils finissent par les utiliser de manière sous-optimale. L’exploitant crée les tournées entièrement à la main, comme il le faisait avant l’introduction de l’outil, réduisant l’optimiseur à un simple calculateur de kilomètres et de durées. Cette approche annule les bénéfices attendus de l’optimisation, tant en termes de gain de temps de planification que d’amélioration de la performance globale.
Il est également fréquent que pour éviter ces ajustements constants, les exploitants ont tendance à sur-contraindre l’algorithme, le forçant à reproduire les schémas de tournées habituels. Cette pratique limite considérablement la capacité de l’algorithme à trouver de nouvelles solutions optimales. En contraignant excessivement l’algorithme, on finit par perdre les avantages potentiels de l’optimisation, l’outil ne faisant plus que reproduire les schémas existants sans apporter d’amélioration.
Dans les pires cas, l’échec de la mise en œuvre de ces outils peut avoir des conséquences graves. Il génère un stress important pour les équipes, augmente le turnover chez les exploitants, et peut conduire à l’échec complet des projets d’optimisation. Le management peut alors se fermer totalement à l’idée même d’optimisation de tournées, considérant que cela ne fonctionne pas.
Ces difficultés expliquent en grande partie le faible taux d’adoption des outils d’optimisation de tournées dans l’industrie, malgré leurs promesses théoriques. Cette situation souligne la nécessité de développer des solutions d’optimisation plus adaptées aux réalités du terrain, capables d’intégrer toutes les contraintes spécifiques et de s’adapter de manière flexible aux changements en temps réel. Une approche plus holistique, prenant en compte non seulement les aspects techniques mais aussi les facteurs humains et organisationnels, est essentielle pour surmonter ces obstacles et réaliser pleinement le potentiel de l’optimisation de tournées.
Pour adresser ces défis, Kardinal a développé une solution d’optimisation de tournées nouvelle génération, fonctionnant en continu pour une meilleure adoption par ses utilisateurs. Découvrez ses caractéristiques innovantes ainsi qu’une illustration de son utilisation avec des exemples concrets dans notre prochain article “Quelles solutions pour améliorer l’usage des outils d’optimisation de tournées ?”.