La table ronde de Supply Chain Village sur la visibilité dans le pilotage des opérations de transport, animée par Jean-Philippe Guillaume, s’est tenue mercredi 14 avril 2021 en présence de Jean-Christophe Cuvelier de MyTower, Benjamin Legoupil de NTT Data Business Solutions, Renaud Houri de project44 et Cédric Hervet de Kardinal.
Retour sur cet échange passionnant qui visait à apporter un éclairage sur la visibilité et le pilotage des opérations de transport, de bout en bout de la Supply Chain, tous modes confondus.
Qu'est-ce que la visibilité dans le transport ?
Depuis plusieurs décennies et notamment au sortir de la guerre, les entreprises se sont fortement développées et ont commencé à faire appel à des prestataires extérieurs pour gérer leurs opérations de transport (notamment pour des raisons de coûts et de flexibilité). Les grandes entreprises travaillent ainsi aujourd’hui avec des centaines de transporteurs, faisant eux-mêmes appel à des milliers de sous-traitants.
Il est devenu difficile pour ces entreprises de visualiser en temps réel la position de leurs marchandises. Lors d'une crise comme celle de la Covid-19 en mars 2020, les entreprises se sont retrouvées avec des camions bloqués aux frontières et n'avaient aucune idée d'où se trouvaient leurs marchandises et à quel moment elles allaient être livrées. La problématique de la visibilité est alors revenue sur le devant de la scène.
Les éditeurs de solution de visibilité transport tels que project44 se connectent aux transporteurs et à leurs camions afin de donner une vision en temps réel sur la géolocalisation des marchandises mais également d’anticiper incidents et retards. Afin de développer la visibilité à un niveau multi-modal, la société a récemment fait l’acquisition d’Ocean Insights, qui propose du tracking de containers en temps réel. Ce type de solution a notamment été utile lors du blocage du Canal de Suez fin mars 2021, qui a immobilisé plus de 400 navires et généré des milliards de perte de chiffre d’affaires. Certaines marchandises ayant des délais de livraison très précis à respecter ont ainsi pu par exemple être reroutées vers des transports aériens.
Les solutions de visibilité transport sont également capables de rajouter des éléments contextuels à ces données de géolocalisation : dans tel conteneur est présente telle expédition qui elle-même contient telle commande. Le TMS va permettre au client de faire le lien entre la traçabilité et son numéro de commande ou d’expédition. Cela donne ainsi plus de visibilité au niveau du bureau de transport, de l’administration des ventes, du service client et du client final.
Une visibilité des opérations de transport est-elle vraiment possible de bout en bout de la Supply Chain ?
L’écosystème de la traçabilité transport commence à atteindre sa maturité et les acteurs du marché sont aujourd’hui techniquement capables de réaliser cette visibilité tout au long de la Supply Chain. Il est maintenant nécessaire d’intégrer ces plateformes spécialisées dans le système de tous les prestataires impliqués dans la chaîne d’approvisionnement.
L’enjeu des plateformes collaboratives est d’arriver à se connecter à tout cet écosystème malgré leurs différences de langage. Les tours de contrôle sont justement des centralisateurs de l’ensemble des données. Leur rôle principal est de piloter efficacement grâce à la détection d’anomalies et ainsi aider les opérationnels à décider et anticiper.
Une des principales problématiques reste de récolter de la donnée qui doit être de qualité pour une visibilité optimale du fournisseur initial au client final. D’après Renaud Houri de project44, certaines grandes sociétés ont aujourd’hui plus de 90% de visibilité sur leur transport en temps réel, ce qui leur permet de réduire leurs stocks de sécurité d’environ 15 à 20%.
Qu'apporte cette visibilité quand elle est exploitée en temps réel ?
La visibilité en temps réel permet de pouvoir réagir aux aléas qui surviennent et d’adapter ses opérations en conséquence. Par exemple, en ayant l’information en temps réel qu’un camion a un problème et ne peut plus avancer, les opérationnels pourront préparer un autre moyen de transport pour limiter les retards.
Au niveau du dernier kilomètre, cette visibilité apporte d’abord un bénéfice pour le client final, notamment pour les activités de type e-commerce. Elle lui permet de savoir précisément quand il va être livré.
Au delà de l'expérience client que les entreprises cherchent à satisfaire et à améliorer, la visibilité en temps réel permet de réduire les échecs de livraison (les "No-Show"). Par exemple, le client est absent lors de la livraison et le fait de lui donner de la visibilité en amont augmente de manière significative la capacité à recevoir ce colis et donc éviter un deuxième passage du transporteur.
La visibilité en temps réel n’a de valeur que si l’on est capable de l’exploiter pour y réagir. La position exacte des véhicules va permettre aux solutions d’optimisation de tournées de réagir sur celle qui est en train d’être réalisée et de suggérer des itinéraires alternatifs afin de livrer les clients dans les meilleures conditions. Sur les activités de courses express en centre urbain où les flux de commandes affluent toute la journée, il faut être capable de réagencer l’ensemble des tournées en temps réel. Dans ce cas de figure, la flexibilité d’optimisation est quasiment maximale.
Quelle place pour la data dans la visibilité du transport ?
La donnée est source d'historisation mais aussi d'anticipation des problématiques. Elle permet de donner une visibilité aux expéditeurs qui seront en capacité d'être plus agiles et réactifs en cas d'incident.
Pour qu’elle puisse être exploitée de façon optimale, la qualité et la représentativité de la donnée collectée sont primordiales. Pour répondre à cette problématique, des solutions comme project44 se connectent aux boitiers télématiques des camions : project44 est ainsi connecté à environ 95% des 600 000 sociétés de transport en Europe. Afin d’éviter d’intégrer dans les TMS une donnée de mauvaise qualité susceptible de dénaturer la qualité globale de la base de données et d’engendrer de mauvaises prédictions, la donnée va subir différents contrôles, techniques et métiers. L’automatisation dans la collecte et la gestion de cette donnée contribue à limiter ces risques d’erreur.
Désormais, l'importance de la qualité de la données est de mieux en mieux prise en compte et ce, dès les appels d'offre. Ces derniers contiennent fréquemment des contrats liés aux échanges de données et des SLA liées à la qualité de cette donnée, qui est mesurée puis revue pour aider les prestataires à l'améliorer.
De même, ces appels d’offre contiennent des prérequis concernant le partage des données par les transporteurs, la collaboration et les échanges de données entre les différents acteurs devenant nécessaires pour répondre aux nouvelles exigences des clients et des consommateurs en termes de visibilité et d’informations.
Quel intérêt de conserver les données récoltées ?
Se pose ensuite la question de l’historisation, la conservation et l’utilisation future de ces données. A partir des données historiques, il est possible de projeter ce qu’il va se passer à l’avenir. Dans le cas du dernier kilomètre par exemple, un des enjeux très importants reste l’estimation des temps de livraison, très variables d’un point à l’autre. En utilisant l’historique des données, il est désormais possible de les prédire de façon plus précise à partir de la localisation des points à livrer et des caractéristiques du colis et du client.
La donnée historique permet également de travailler des sujets plus stratégiques tels que le dimensionnement de réseau. Pour des acteurs de la livraison du dernier kilomètre, des données de plusieurs mois vont permettre de construire des secteurs qui resteront stables dans le temps.
Faire des optimisations de tournées tous les jours est assez chronophage et ne fonctionne pas vraiment. La logique de tri d'un acteur logistique est généralement construite de manière empirique à partir des codes postaux mais cette organisation n'est pas forcément taillée pour la réalité de l'activité. Des outils vont pouvoir redimensionner ce réseau et réaliser des segmentations (hiver/été, Noël, Post Covid par exemple) avec des gains importants en remettant en cause des organisations datant parfois de nombreuses années.
Ces données archivées vont donc être très utiles pour l’amélioration des performances logistiques et pourront également faire office de preuves dans le cadre de litiges.
Quelle place pour les nouvelles technos en visibilité du transport ?
Un des cas d’usages de l’Intelligence Artificielle en visibilité transport est le calcul et la prédiction de l’ETA (heure d’arrivée estimée). Cette prédiction est par exemple particulièrement utile pour les acteurs de la chaîne de montage automobile. Ces derniers effectuent en effet des parcours assez longs avec plusieurs frontières à franchir et leurs stocks peuvent être de très courte durée (de l’ordre de 6h par exemple). En prédisant 24h à l’avance grâce à l’IA que le camion ne pourra pas livrer dans les temps, l’entreprise va être capable de trouver une solution palliative. Une solution de remplacement trouvée le plus tôt possible permet d’en baisser les coûts.
L’IoT est également une technologie qui permet d’améliorer la notion de visibilité. Au delà de savoir où se situe exactement une commande, elle donne la possibilité de remonter des informations supplémentaires telles que le contrôle des opérations de produit, la manutention, les températures et les chocs. On ne parle alors plus seulement de tracking mais également de tracing
Les solutions d'IoT sont plus difficiles à mettre en place car elles induisent de nombreuses opérations de manutention. Dans les pays où les moyens de transport n'ont pas été équipés en télématique, l'IoT peut cependant être une solution palliative très efficace.
Les applications transport liées à la blockchain quant à elles, ne semblent pas avoir atteint le niveau de maturité nécessaire pour un réel usage sur le terrain. Son rôle dans la visibilité pourrait davantage servir à certifier la donnée, dans un contexte où celle-ci n’est pas toujours de bonne qualité. Par sa capacité à valider les échanges qui ont lieu tout au long des opérations de transport, la blockchain pourra ainsi certifier les données qui remontent et notamment celles qui ont été indiquées manuellement par les opérationnels.
Parce qu'elle impose un processus qui amène avec lui la validation et la vérification formelles de la donnée, la blockchain apporte une aide pour structurer la collecte de données issues du terrain.
Disposer d’une visibilité sur ses opérations de transport devient donc une norme pour rester compétitif et répondre aux nouvelles attentes des clients et des consommateurs. Elle apporte de nombreux gains sur le pilotage de cette activité de transport et permet la détection d’anomalies qui vont pouvoir être résolues de manière très proactive. Les technologies spécialisées dans la visibilité en temps réel ont pour but de faciliter le travail des opérationnels et de les aider à prendre les meilleures décisions grâce à des alertes immédiates et des prédictions optimisées en continu. La visibilité du transport s’impose donc comme un impératif pour les entreprises souhaitant maximiser la performance de leur Supply Chain.
A propos des intervenants
project44 est un acteur global et multimodal dans la visibilité en donnant accès à leurs clients à l’information en temps réel sur leurs activités de transport (routier, aérien ou maritime). project44 est constitué de 400 collaborateurs dans le monde, la moitié en Europe et l’autre aux Etats-Unis.
Site web : https://www.project44.fr/
MyTower est un éditeur de logiciel spécialisé sur le TMS et axé sur 4 spécificités : la plateforme collaborative, les TMS orientés Route & Overseas, les TMS sur la partie Import et ceux sur l’Achat/finance. MyTower est composé de plus de 80 collaborateurs implantés en France, en Suisse et au Maroc.
Site web : https://www.mytower.fr/
NTT Data Business Solutions (ex-itelligence) est une société de conseil spécialisée dans l’intégration du logiciel SAP avec une orientation Supply Chain en France : l’implémentation des briques d’exécutions logistiques, l’entreposage, le transport et la planification. NTT Data Business Solutions est composé de plus de 100 000 collaborateurs dans le monde dont 160 en France.
Site web : https://nttdata-solutions.com/fr/
Kardinal réalise l’optimisation des opérations de transport et de la logistique, principalement du dernier kilomètre en continu et en temps réel. La solution Kardinal a la capacité de réoptimiser les plannings en direct en fonction des remontées du terrain que ce soit des informations trafic mais également des véhicules eux-mêmes (leur position, l’avancement de ce qu’ils sont en train de réaliser). Kardinal est composé d’une vingtaine de collaborateurs en France.
Retrouvez le replay de la table ronde Supply Chain Village « La visibilité dans le pilotage des opérations de transport »